CONTEXTE

Le 8 février 1904, dans le port coréen de Chemulpo, deux croiseurs russes sont attaqués par une escadre japonaise. S’ensuit un combat sanglant et totalement disproportionné au détriment des russes, et ces derniers font sauter leurs bâtiments. Les survivants sont recueillis par des navires français et anglais, puis embarqués à Marseille qui leur réserve un accueil triomphal comme « Héros de Chemulpo ». Un journaliste, Gaston Leroux, leur consacre un reportage dans le plus grand quotidien de l’époque, Le Matin (1).

Chemulpo déclenche la guerre Russo/Japonaise, qui va se dérouler sur le territoire de la Corée. Les troupes russes envahissent le nord par la Mandchourie, les troupes japonaises par le sud. Colonie « insidieuse » (2) du Japon, la Corée sera annexée en 1910. La première guerre de Corée vient de commencer.

Jack London sera l’un des trois journalistes qui pourra approcher le champ de bataille et il rendra compte de son expérience dans un récit intitulé « La Corée en feu ».  De grandes chaines de journaux lui avaient proposé le couvrir « le conflit prévisible » (3) et c’est le début d’une longue collaboration avec William Randolph Hearst (4), propriétaire du San Francisco Examiner.

London embarque le 7 janvier 1904 pour Yokohama. Au contraire des exaltations et des dangers qu’il imaginait de ses activités de correspondant de guerre, il devra lutter contre l’antipathie de l’armée japonaise et la traditionnelle « espionnite » pour accéder aux lieux de combat, se faisant finalement refouler du nord vers Séoul,  pour ce qu’il appellera « une visite guidée de la guerre du type agence Cook ». La difficulté d’accéder à l’information directe, la censure retardant la transmission des articles finissent par le décourager, et il rentre chez lui : « Je suis venu à la guerre dans l’attente d’émotions. Mes seules émotions ont été l’indignation et l’irritation » (5).

Derrière le récit de London émerge le jugement, aujourd’hui difficilement audible, d’une époque qui ne peut s’empêcher d’admirer l’armée japonaise, son énergie, son efficacité et sa virilité, et manifeste son mépris pour le peuple occupé, dont il détaille longuement et généralise férocement, à partir de ses propres observations, l’inefficacité et l’impuissance. Les peuples rencontrés au cours de ses voyages dans la Corée en guerre, japonais, coréens, chinois, sont passés au crible de cet orientalisme défini par Edward Saïd (6), ce « style occidental de domination, de restructuration et d’autorité sur l’orient » qui, en standardise et en appauvrit les visions pour en faciliter l’observation, pour les faire correspondre à ses propres stéréotypes. London écrit : « Le japonais ressemble à un enfant précoce qui parle philosophie à un moment donné, et tout de suite après fait des pâtés de boue. A un moment, il agit avec la sagesse de l’Occident, et tout de suite après avec l’enfantillage de l’Orient. »

Les extraits proposés ici renvoient, à travers les jugements portés sur les hommes et leurs actions, à la conviction de la supériorité toute occidentale de l’Homme Blanc, dont le « Jaune » ou le « Brun » ne peut, dans le meilleur des cas, qu’imiter les constructions sociétales, « se remodeler à notre image » (7).

 

LES CORÉENS (page 47
« Les coréens forment une race robuste, bien musclée, dominant largement de la taille leurs maîtres japonais, les « nains », qui les ont conquis jadis, et qui les regardent maintenant avec des yeux de propriétaires. Le coréen manque de caractère. Il n’a pas l’impétuosité de la race malaise qui fait du japonais un soldat par excellence.

Le Coréen a des traits fins, mais le trait essentiel qui lui manque, c’est la force. En comparaison avec d’autres races plus rigoureuses, il paraît mou et efféminé; et quelle que puisse avoir été sa force naguère, des siècles de gouvernement corrompu l’ont progressivement faire disparaître. Il est certainement, de toutes les créatures humaines, la plus inefficace, absolument dépourvue d’initiative et de volonté ; et la seule activité dans la quelle il excelle, c’est le portage. Comme animal de trait et de bât, il réussit parfaitement. Et pourtant je suis sûr, je parierais même que ma propre race le battrait, si je me souviens bien de ce que j’ai vu faire dans l’Ouest et dans le grand Nord, en marchant, portant et travaillant, effectuant des tâches de coolies. Je puis affirmer qu’ici, pour manoeuvrer une bêche, il faut trois coolies coréens. Chacun peut voir, à Séoul, et n’importe quel jour de l’année, comment ils opèrent : un collie tient le manche de la bêche par le haut, et deux autres – parfois trois – fournissent la force motrice par l’intermédiaire de cordes sur lesquelles ils tirent.

Mes deux mapus – et ils me semblent être un peu mieux que la moyenne – ont besoin d’une heure pour charger les poneys, et passent le reste du jour à empêcher les charges de tomber. La moindre action est précédée d’une demi-heure de conversation, de bavardages avant d’être exécutée, et si on les laisse seuls, les Coréens préféreront consacrer la journée aux discussions préliminaires. Le seul moyen d’interrompre cette discussion est de vociférer « Os-saw ! », ce qui veut dire « Dépêchez-vous » et de menacer de tirer sur les chignons ou de casser les têtes.

Le coréen est extrêmement peureux, et sa crainte des coups est égale à son goût de l’inaction. L’existence d’un mot dans une langue correspond au besoin pour ce mot. Le manque de vitesse, et son besoin, a donné naissance, dans la langue coréenne, à au moins une vingtaine de mots, parmi lesquels on peut citer Par-pee, Oc-lun, Soik-kee, Oil-ppitt, Koop-hee, Ning-kom, Ba-lee, Cham-kan. Et, bien que Kipling ait dit fort justement qu’il ne faut pas chercher à faire se hâter l’Orient, les premiers mots qu’apprend l’Européen sont précisément ceux qui ont ce sens.

L’exemple suivant, vu sur la route de Pékin, donne une bonne comparaison entre la façon d’agir d’un Oriental et celle d’un Occidental. La scène a trois acteurs : un mapu, un Blanc et un poney chinois qui rue à tout instant. Le mapu s’est occupé de chevaux toute sa vie, et est âgé d’une trentaine d’années. Il ne connaît rien d’autre que les chevaux, n’a à penser qu’aux chevaux, et est un demi-cheval lui-même. Le Blanc n’a, des chevaux, que dix jours d’expérience, pas plus, et encore ces dix jours ont plus été consacrés à connaître les mapus que les chevaux. Le cheval, lui, avait mordu, rué et henni toute sa vie.

L’homme blanc souhaitait connaître l’état des fers du cheval. Savoir ceci faisait partie des attributions du mapu, mais le Blanc avait déjà appris que, quel que soit le travail du mapu, celui-ci n’y connaissait rien. Aussi, il donna l’ordre au mapu d’examiner les pieds du cheval. Le mapu répondit que les pieds et les fers étaient en bon état. Le Blanc fit répéter, par l’interprète, trois fois son ordre. Une quatrième fois, l’interprète renforça cet ordre par un geste menaçant de sa cravache. Alors le mapu leva avec précaution un des pieds de devant du cheval, puis l’autre.


(9) Ce sera moins le cas lors, par exemple, du massacre de Nankin, en 1937/38

 

Les pieds de derrière étaient en bon état, insista-t-il, et il fallut plusieurs ordres appuyés de mouvements de cravache pour amener le mapu à s’occuper des pieds de derrière. Sa façon de procéder se montra en accord avec ce que l’on a déjà vu. Il s’accroupit dans la boue, à quatre mètres en arrière du cheval, et après une minute d’examen visuel approfondi, déclara que tout était en ordre. Comme les pieds étaient enfoncés dans la boue jusqu’au boulets, l’homme blanc douta du rapport.

A la suite d’ordres plus persuasifs, le mapu, marchant comme un homme qui va à la mort, s’approcha des terrifiants pieds arrière. Il commença par la tête, et tenta de flatter le cheval d’une main tremblante. Le cheval devint nerveux, se demandant sans doute quelle nouvelle et terrible atrocité l’on projetait à son égard. Après trois minutes, le mapu arriva à un pied arrière tandis que le cheval tremblait, aussi effrayé que l’homme.

Alors le cheval rua, et le mapu sauta pour sauver sa vie. Une foule s’était amassée, qui commença à railler le mapu, qui avait honte, mais ne fit rien de plus. La foule était composée de mapus, que l’homme blanc invita à lever le terrible pied arrière : la foule manifesta une grande frayeur, et recula.

Alors l’homme blanc s’imposa. Il n’y connaissait rien en chevaux, et la seule chose à dire en sa faveur, c’était qu’il n’était pas coréen. Il alla vers le cheval, le flatta vigoureusement deux fois, et tendit ses bras vers le pied. Il l’attrapa. L’instant d’après, il était propulsé en arrière par une ruade. Maintenant, l’homme blanc était aussi effrayé que le mapu. Mais c’était un Blanc. Il revint tout de suite aux pieds du cheval. Celui-ci rua à nouveau, mais le Blanc insista, et, après quelques temps, le cheval se fatigua : le Blanc put enfin lever le pied. Il faut dire que le cheval, au lieu de se porter en entier sur l’autre pied, se pencha pour faire porter le poids de son corps sur le dos courbé de l’homme. Mais l’homme, au lieu de se retirer, ne lâcha pas le pied, et maintint le cheval debout. Il se compara à Atlas, et continua à maintenir le cheval, jusqu’à ce que ce dernier, trouvant qu’il ne se passait rien de terrible, se redressa. Ceci terminé, on persuada le mapu de lever l’autre pied de derrière. Le cheval n’essaya même pas de ruer : on trouva que le fer était brisé, et qu’il en manquait la moitié !

J’ai donné ce compte-rendu complet d’une affaire plutôt banale pour montrer concrètement combien le Coréen est inefficace et impuissant. Ce qui est vrai pour le mapu est vrai pour tous, dans tous les cas. Il ne sait pas comment faire, il n’essaie pas d’apprendre, il s’en fiche. Un jour plus tard, à cause de ce fer brisé, le cheval aurait boité. La race coréenne et son gouvernement ont boité durant des siècles, et vont continuer ainsi jusqu’à ce qu’un mapu de première classe prenne le pied, le lève, et arrange le fer.

L’Asiatique est sans cœur. La souffrance des bêtes ne signifie rien pour lui. Pour en revenir aux mapus, car les mapus constituent, sur la route de Pékin, un sujet important, il est bon d’informer le voyageur éventuel de ne pas quitter ses chevaux  de l’oeil lorsqu’ils prennent leur repas. Il peut bien commander leur nourriture, et la voir placer sous le nez des chevaux ; mais s’il quitte l’écurie pour une seule minute, et revient, la nourriture aura disparu. Les mapus l’auront volée. Si on les laisse faire, les mapus continueront à voler la nourriture, jusqu’à ce que le cheval ne puisse plus se tenir debout, et encore moins porter une charge ou un homme. Alors, les mapus avertiront l’homme blanc, le propriétaire : « Cheval malade ». Toutes enquêtes pour tenter d’élucider l’origine de la maladie n’aboutiront qu’à provoquer la volubilité des Asiatiques, qui est l’expression de leur ignorance.

Pour ferrer un poney de la taille d’un veau, le Coréen le projette sur le sol. Il leur arrive souvent de leur briser le dos, mais qu’importe ? Le Coréen assurera qu’il est très désolé. En bref, les premières semaines du voyageur blanc en Corée sont loin d’être agréables. Si c’est un homme sensible, il passera la plus grande partie de son temps à être tiraillé entre deux puissants désirs. Le premier, de tuer des Coréens, le second, de se suicider. Personnellement, je ferais le premier choix. Maintenant, je me considère comme immunisé, et ayant des chances raisonnables de survivre au voyage. »

 

Page 80
« La principale difficulté, avec un interprète coréen, est de le faire penser, ne serait-ce que pour lui-même. Mais, avec un interprète japonais, la principale difficulté est de l’empêcher de penser à votre place. »

 

SUR LES DIFFICULTES DE SE LOGER EN COREE :
Page 89
« … Je pars avec Manyoungi, mon factotum coréen, à la recherche de quartiers pour dormir. Pendant ce temps-là, les habitants nous crient sur tous les tons « Dix lis (8) plus loin ». Nous forçons les portes, jetons les propriétaires dehors, et inspectons les maisons. Nous recevons des injures de la part de vieilles femmes ridées, dépoitraillées. Les hommes, jeunes ou vieux, font tout, sauf mine de se battre, et une multitude de chiens se mettent à aboyer et à gronder. « Fils de crapaud » est l’appellation la plus fréquente dont je suis gratifié, et, pour les Coréens, c’est une belle injure : ils pratiquent la religion des ancêtres, et souillent ainsi les miens.

C’est un véritable pandémonium. Les interprètes cherchent des maisons pour eux. Le vacarme est assourdissant, les chin-chin interminables. Chaque mapu a une dizaine de querelles sur les bras, tandis que les villageois sont désespérés. Quand nous avons fini par trouver les maisons  de notre choix, nous y faisons amener nos sacs. Les cuisiniers prennent possession de la cuisine.

Et alors presto, tout est changé ! Les villageois voient que nous payons tout ce que nous prenons. De l’orge et des haricots apparaissent, assez pour un régiment de cavalerie. Les fagots et le charbon de bois arrivent. Des poulets et des oeufs ressortent de toutes sortes de cachettes. Et les villageois, aimables et souriants, nous entourent, impatients de nous rendre de petits services, et contents en retour de satisfaire leur curiosité en nous regardant fixement. Au matin, ils regrettent notre départ, et sont un peu plus riches d’avoir fait notre connaissance. »

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« Laissez-moi parler de ma vie quotidienne.
Je campe dans un joli bosquet de sapins, sur la pente d’une belle colline. A côté, il y a un temple. Il fait un magnifique temps d’été. Je me suis réveillé tôt par le chant des oiseaux. Le chant des coucous traverse la nuit. A six heures et demi, je me rase. Manyoungi, mon boy coréen, prépare mon déjeuner et s’occupe de moi. Sakaï, mon interprète, cire mes bottes et reçoit mes instructions pour la matinée. Yuen-hi-kee, un Chinois, effectue diverses tâches. Mon « mapu » de Séoul donne un coup de main pour le déjeuner, et nettoie un peu partout. Mon « mapu » de Ping Yang nourrit les chevaux. »

 

LES JAPONAIS
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« Le japonais ressemble à un enfant précoce qui parle philosophie à un moment donné, et tout de suite après fait des pâtés de boue. A un moment, il agit avec la sagesse de l’Occident, et tout de suite après avec l’enfantillage de l’Orient. »

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4 mars 1904
« Je pense qu’il est difficile de trouver ailleurs au monde des soldats aussi calmes, rigoureux et disciplinés que les japonais. S’il s’agissait des nôtres, ils auraient déjà envahi, sans penser à mal, tous les lieux possibles, et nous aurions sûrement entendu parler longtemps de leurs frasques. Mais de telles choses n’arrivent jamais avec les japonais, et il est merveilleux de les voir aussi disciplinés. En conséquence, aucun habitant de la ville n’a de crainte, les femmes, les bars, les propriétés et tout le reste sont en parfaite sécurité (9). Il est notoire que, lors du dernier conflit sino-japonais, ces derniers ont toujours payé rubis sur l’ongle tout ce qu’ils ont acquis auprès des habitants, et ils continuent de même. Tous les Coréens vous diront : « Si c’était des Russes, que ne se serait-il pas passé ? ». Je n’ai jamais vu un seul soldat japonais ivre, ou agir brutalement, et de plus cette infanterie est militairement parfaite, de l’avis même de notre Général Allen, qui estime que l’infanterie japonaise est supérieure à toute autre au monde. Par exemple, bien que chaque soldat japonais porte durant les marches un paquetage de 20 kg, on n’en trouvera jamais un semblant exténué. Aucun ne ploie sous le faix, aucun n’est à la traine, aucun n’a à réajuster ses sangles, aucun ne se fait remarquer par le bruit désagréable provenant d’un paquetage mal arrimé, et la bonne tenue de l’infanterie dans son ensemble est du même niveau que celle des individus. Personne ne commet de faute, les ordres sont rapidement exécutés, ils vont droit au but. La race japonaise est celle qui peut produire des vrais combattants, et son infanterie est réellement superbe. »

 

Page 223
« La guerre est aujourd’hui l’arbitre final des affaires des hommes, et elle est également le test ultime de la valeur des peuples. Soumis à cette épreuve, le peuple coréen échoue. Ses nerfs le lâchent, et il s’enfuit lorsqu’une armée étrangère traverse son pays. Il met alors sur son dos tout ce qu’il a pu amasser, y compris ses portes et fenêtres, et met le cap sur les refuges inviolables que sont ses montagnes. Plus tard, il reviendra, poussé par son insatiable curiosité, juste pour « voir un peu », mais c’est vraiment de la curiosité pure : il est prêt à s’enfuit sur ses longues jambes au premier danger, à la première alerte.

La Corée du Nord était un pays désolé lorsque les Japonais le traversèrent. Les villes et les villages étaient déserts, les champs abandonnés. Plus de labours ni de semailles, plus de verdure. On ne pouvait rien ou presque rien acheter. Chacun devait transporter ses vivres, et tous les soirs il nous fallait résoudre le difficile problème de la nourriture des chevaux et des serviteurs. Dans beaucoup de villages isolés on ne pouvait acheter le moindre grain de quoi que ce soit, et pourtant il s’y trouvait des vingtaines de robustes Coréens, tout de blanc vêtus, fumant des pipes d’un mètre de long, et caquetant, caquetant, ne s’arrêtant pas de caqueter. Rien, ni l’amour, ni l’argent, ni la force ne pouvait leur extraire un fer à cheval, ni même un clou de fer à cheval.

Ils répondaient à toute demande, invariablement : « Upso », mot exécrable qui signifie : « Nous n’en avons pas ».

Ils avaient probablement marché  durant une soixantaine de kilomètres ce jour-là, descendant de leurs refuges, juste pour « voir un peu », et feraient en sens inverse la route avec entrain, caquetant tout le long, commentant ce qu’ils avaient vu. Brandissez un bâton contre eux, alors qu’ils jacassent autour de votre feu de camp, et aussitôt les ténèbres qui vous entourent se peuplent de fantômes hauts et légers, bondissant comme des daims et faisant avec souplesse de grandes enjambées que l’on ne peut qu’envier. Ils ont des corps splendides, fins et vigoureux, et, pourtant se laissent frapper et voler sans protestation ni rébellion par tout étranger qui entre, par hasard, chez eux. »

 

LES CHINOIS
Page 227
« Le Coréen est le type parfait de l’inefficience – ou de l’inutilité totale. Le Chinois est le type parfait de l’être industrieux. Aucun travailleur au monde ne peut se comparer à lui pour ce qui est du vrai travail. Il respire le travail, c’est sa raison de vivre. Le travail est pour lui ce que, pour d’autres peuples, ont été l’errance et le combat dans des pays lointains, ou l’aventure spirituelle. Pour lui la liberté se résume à l’accès aux moyens de peiner. Cultiver le sol et travailler interminablement avec des outils primitifs est tout ce qu’il demande à la vie et aux puissances. Ce travail est ce qu’il désire au-dessus de tout, et il travaillera à n’importe quoi pour n’importe qui. »

 

LE PERIL JAUNE
Page 232
« La menace que doit considérer le monde occidental ne réside pas dans le petit homme brun (10) mais dans les quatre cent millions de jaunes, si le petit homme brun entreprend de les conduire. Le Chinois ne refuse pas les idées nouvelles, c’est un travailleur efficace, qui peut faire un bon soldat, et qui est richement pourvu en matières premières. Placé sous une direction compétente, il ira loin. Le Japon est préparé et prêt pour remplir cette fonction. Non seulement il a montré qu’il est un imitateur doué vis-à-vis du progrès matériel des Blancs, un bon travailleur, et un organisateur capable, mais il est beaucoup plus qualifié que nous pour diriger les Chinois. L’énigme déroutante du caractère chinois n’en est pas une pour lui. Il comprend, alors que nous ne pourrons jamais apprendre ni espérer de comprendre. (…) 
On a dit que la Chine était le modèle de la permanence, et elle l’a bien mérité en sommeillant comme elle l’a fait à travers les âges. En fait, le Japon l’était aussi, il y a encore une génération, et soudainement il s’est réveillé et fit sursauter le monde, avec un renouveau comme l’on n’en avait jamais vu. Les idées de l’Ouest furent le levain qui hâta son réveil, et les idées, transmuées par l’esprit japonais en ides japonaises, peuvent bien fournir le levain capable d’animer la Chine. Quatre cent millions de travailleurs inlassables (habiles, intelligents, ne craignant pas de mourir), sortant de leur torpeur et renaissant, organisés et guidés par quarante-cinq millions d’hommes supplémentaires qui sont de magnifiques animaux de guerre, scientifiques et modernes, constituent cette menace que le monde occidental a justement nommé le « Péril Jaune ».

JACK LONDON

(1)La bataille de Chemulpo

fleche

(2) "La Corée en feu", introduction de Francis Lacassin, « La Corée en feu » page 10

(3) ibidem

(4) modèle du « Citizen Kane » d’Orson Wells

(5) « La Corée en feu » page 181

JACK LONDON : « LA COREE EN FEU »
Union Générale d’éditions, 1982

(7) « La Corée en feu » page 235


(10) "Brun" (brown dans le texte américain), signifie ici japonais et Jaune (yellow), les chinois (N. du T de "La Corée en feu")

(6) Edward Saïd, « L’orientalisme », Seuil, La couleur des idées, 2005

(8) Unité de mesure de distance équivalant plus ou moins à 400 mètres.